ARTS ET LOISIRS

La sortie du huitième et tout récent album de la diva Emeline Michel, avec pour titre Rasin Kreyòl, ne va pas, à mon opinion, du tout laisser dans l’indifférence ses milliers de fans qui, sans nul doute, seront trop heureux d’y retrouver et en même temps savourer avec délectation les plus grands succès jusqu’a ce jour de l’artiste. Et surtout ceux qui lui vouent une admiration presque pour son talent et sa constance. A travers les morceaux de ce CD, l’artiste, d’une manière générale, s’inspire et s’approvisionne bien évidemment des expériences, de ses racines culturelles, et si l’on ose le dire, de l’histoire  tumultueuse tant du pays que du caractère rebelle du peuple haïtien.

Faudrait-il tout d’abord rappeler  à nos lecteurs, - parce que peu d’entre nous ont une idée de l’immense talent musical de l’artiste; - qu’Emeline Michel est autant chanteuse que chef d’orchestre, autant auteur qu’arrangeur de presque tous les douze morceaux de l’album. À son actif,  cela constitue son troisième essai en tant que productrice: une prouesse musicale extraordinaire,  réalisée par un nombre réduit d’artistes.

 Dans cette dernière réalisation il est évident qu’Emeline n’en démord pas pour  la poursuite d’une perfection, de «l’urgence de vivre au maximum», d’après ses propres dits en tant qu’artiste, bien entendu, et qu’on ne saurait en aucune façon la comparer à un de médiocres qui, à force de racolage, se sont, hélas!, érigés en vedettes parmi nos jeunes.

En passant  brièvement en revue le contenu de Rasin Kreyòl, on peut cependant remarquer sans aucune hésitation le mixage de différents styles, au premier rang desquels ressortent nos rythmes traditionnels interprétés avec brio et agrémentés de notre incontournable «compas direct», du jazz, du troubadour et du rara, etc. Une certaine emphase sur les lyrics, qui relatent avec fougue les débats, la passion, les réminiscences, l’espoir, l’amour, les désirs, les angoisses, et surtout le patriotisme de la cantatrice. Relevons, entre autres, quelques chansons qui ne peuvent passer inaperçues, en tenant compte non seulement des paroles mais de la musique: «Bel Kongo,», chanson traditionnelle, arrangée et mise au goût du jour par Emeline Michel qui s’est fait accompagner de musiciens chevronnés qui n’ont pas négocié leur virtuosité. le son intermittent, et le solo de tambour de Serge Decius; «La Karidad,» jolie chanson (paroles et musique) de Emeline Michel. Ici, l’artiste se remémore son ancien quartier de Port-au-Prince, ses amours d’enfance et les incessantes répétitions de l’orchestre Tropicana, sans nul doute, l’orchestre préfère des gens de La Karidad:  

                                    «Pa gen yon jou nou te rate

                                    Tropicana ‘k t’ap repete

                                    Pi bèl renmen ki te mare

                                    nan katie a si ou pa blye» 

Cette chanson est magistralement interprétée par un autre groupe de musiciens accompagnateurs qui exécutent un compas nous rappelant celui de notre inoubliable Nemours Jean-Baptiste, avec un piano solo de l’excellent pianiste Welmyr Jean-Pierre et la saxophoniste Lisa Perott qui vous chatouillent les sens.

«Lo’m Kampe,», paroles et musique: Emeline Michel; une autre chanson qui évoque l’espoir et en même temps ce long et difficile combat que doit mener le peuple haïtien pour pouvoir surmonter d’innombrables écueils qui se dressent constamment sur sont chemin:

«Lè m kanpe wa we longè m

              zepina pare pou grann nanna

              grann nanna pare pou zepina»

Enfin, que dire de plus des excellents musiciens qui accompagnent Emeline dans ce formidable CD. Bien évidemment on ne peut tarir d’éloges sur l’incroyable dextérité musicale autant que du talent de ces inimitables artistes. De toutes les façons ne sont-ils pas les accompagnateurs d’Emeline  Michel!

Jean-Paul Spence